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OCML VP, 23.08.2021

RAWA répond à la prise de contrôle par les Talibans

La poursuite des attaques américaines et l’augmentation du nombre de victimes civiles innocentes donnent non seulement une excuse aux Talibans

C’est une plaisanterie de dire que des valeurs comme les "droits des femmes", la "démocratie", la "construction de la nation", etc. faisaient partie des objectifs des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan !

Afghan Women’s Mission a pris contact avec RAWA pour répondre à leurs besoins en cette période d’urgence. Dans ce bref entretien avec la codirectrice de l’AWM, Sonali Kolhatkar, RAWA explique la situation sur le terrain telle qu’elle la voit. Cliquez ICI pour faire un don à RAWA maintenant.

Sonali Kolhatkar : Pendant des années, RAWA s’est élevée contre l’occupation américaine et maintenant qu’elle est terminée, les Talibans sont de retour. Le président Biden aurait-il pu retirer les forces américaines d’une manière qui aurait laissé l’Afghanistan dans une situation plus sûre qu’actuellement ? Aurait-il pu faire davantage pour s’assurer que les Talibans ne puissent pas reprendre le pouvoir aussi rapidement ?

RAWA : Au cours des 20 dernières années, l’une de nos exigences était la fin de l’occupation américaine et de l’OTAN, et mieux encore, qu’ils emmènent avec eux leurs fondamentalistes et technocrates islamiques et laissent notre peuple décider de son propre sort. Cette occupation n’a entraîné que des effusions de sang, la destruction et le chaos. Elle a fait de notre pays l’endroit le plus corrompu, le moins sûr, le plus mafieux et le plus dangereux, surtout pour les femmes.

Dès le début, nous pouvions prédire un tel résultat. Dès les premiers jours de l’occupation américaine de l’Afghanistan, RAWA a déclaré le 11 octobre 2001 :

"La poursuite des attaques américaines et l’augmentation du nombre de victimes civiles innocentes donnent non seulement une excuse aux Talibans, mais provoquent également le renforcement des forces fondamentalistes dans la région et même dans le monde entier."La principale raison pour laquelle nous étions contre cette occupation était leur soutien au terrorisme sous la belle bannière de la "guerre contre le terrorisme". Depuis les premiers jours où les pillards et les tueurs de l’Alliance du Nord [1] ont été réinstallés au pouvoir en 2002 jusqu’aux derniers prétendus pourparlers de paix, accords et arrangements à Doha et la libération de 5000 terroristes des prisons en 2020/21, il était évident que même le retrait se terminerait mal.Le Pentagone prouve qu’aucune des invasions ou ingérences théoriques ne peut se terminer de manière sûre. Toutes les puissances impérialistes envahissent des pays pour leurs propres intérêts stratégiques, politiques et financiers, mais par le biais de mensonges et des puissantes entreprises médiatiques, elles tentent de cacher leurs véritables motifs et programmes.

C’est une plaisanterie de dire que des valeurs comme les "droits des femmes", la "démocratie", la "construction de la nation", etc. faisaient partie des objectifs des Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan ! Les Etats-Unis étaient en Afghanistan pour déstabiliser la région et en développer le terrorisme afin d’encercler les puissances rivales, en particulier la Chine et la Russie, et de saper leurs économies par le biais de guerres régionales. Mais bien sûr, le gouvernement américain ne voulait pas d’une sortie aussi désastreuse, honteuse et embarrassante, qui laisse derrière elle une telle agitation qu’il a été obligé d’envoyer à nouveau des troupes dans les 48 heures pour contrôler l’aéroport et évacuer en toute sécurité ses diplomates et son personnel.

Nous pensons que les États-Unis ont quitté l’Afghanistan de leur propre chef, sans être vaincus par leurs créatures (les Talibans). Il y a deux raisons importantes à ce retrait.

La raison principale en est la crise interne multiple aux États-Unis. Les signes du déclin du système américain se sont manifestés par la faiblesse de la réponse à la pandémie de Covid-19, les attaques contre le Capitole et les grandes protestations du public américain au cours des dernières années. Les décideurs politiques ont été contraints de retirer les troupes pour se concentrer sur les questions internes brûlantes.

La deuxième raison est que la guerre d’Afghanistan a été une guerre exceptionnellement coûteuse dont le coût s’est élevé à plusieurs milliers de milliards de dollars, tous prélevés sur l’argent des contribuables. Cela a tellement pesé sur les finances des États-Unis qu’ils ont dû quitter l’Afghanistan.Les politiques belliqueuses prouvent que leur objectif n’a jamais été de rendre l’Afghanistan plus sûr, et encore moins maintenant, au moment de leur départ. En outre, ils savaient également que le retrait serait chaotique, mais ils l’ont tout de même fait. Aujourd’hui, l’Afghanistan est à nouveau sous les feux de la rampe en raison de la présence des Talibans au pouvoir, mais c’est la situation qui prévaut depuis 20 ans et, chaque jour, des centaines de nos concitoyens sont tués et notre pays détruit, mais les médias n’en parlent que rarement.

Sonali Kolhatkar : Les dirigeants talibans affirment qu’ils respecteront les droits des femmes tant qu’ils seront conformes à la loi islamique. Certains médias occidentaux présentent cela sous un jour positif. Les Talibans n’ont-ils pas dit la même chose il y a 20 ans ? Pensez-vous que leur attitude à l’égard des droits de l’homme et des droits des femmes a changé ?

RAWA : Les entreprises médiatiques ne font qu’essayer de mettre du sel sur les blessures de notre peuple dévasté ; ils devraient avoir honte de la façon dont ils essaient d’édulcorer la brutalité des Talibans. Leur porte-parole a déclaré qu’il n’y a aucune différence entre leur idéologie de 1996 et celle d’aujourd’hui. Et ce qu’ils disent à propos des droits des femmes sont exactement les mêmes phrases que celles utilisées pendant leur sombre règne précédent : appliquer la charia.Ces jours-ci, les Talibans ont déclaré une amnistie dans toutes les régions d’Afghanistan et leur slogan est "ce que la joie de l’amnistie peut apporter, la vengeance ne le peut pas". Mais en réalité, ils tuent des gens tous les jours. Hier encore, un garçon a été abattu à Nangarhar pour avoir porté le drapeau national afghan tricolore au lieu du drapeau blanc des talibans. Ils ont exécuté quatre anciens responsables de l’armée à Kandahar, arrêté un jeune poète afghan, Mehran Popal, dans la province de Herat, pour avoir écrit des messages anti-talibans sur Facebook et sa famille ne sait pas où il se trouve. Ce ne sont là que quelques exemples de leurs actions violentes, malgré les paroles "gentilles" et polies de leurs porte-parole.Mais nous pensons que leurs affirmations ne sont peut-être qu’une des pièces de théâtre jouées par les Talibans et qu’ils essaient simplement de gagner du temps jusqu’à ce qu’ils puissent s’organiser.Les choses se sont passées si vite, ils essaient de mettre en place leur structure gouvernementale, de créer leurs services de renseignement et de créer le ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice, qui est chargé de contrôler les petits détails de la vie quotidienne des gens, comme la longueur de la barbe, le code vestimentaire et le fait d’avoir un mahram (compagnon masculin, uniquement père, frère ou mari) pour une femme. Les Talibans affirment qu’ils ne sont pas opposés aux droits des femmes, mais que cela doit se faire dans le cadre des lois islamiques/de la charia.La loi islamique/la charia est vague et interprétée de différentes manières par les régimes islamiques pour servir leurs propres règles et programmes politiques. En outre, les Talibans aimeraient également que l’Occident les reconnaisse et les prenne au sérieux, et toutes ces affirmations font partie d’une sorte de blanchiement d’eux-mêmes. Peut-être qu’après quelques mois, ils diront qu’ils organiseront des élections puisqu’ils croient en la justice et la démocratie ! Ces faux-semblants ne changeront jamais leur vraie nature, et ils seront toujours des fondamentalistes islamiques : misogynes, inhumains, barbares, réactionnaires, antidémocratiques et anti-progressistes. En un mot, la mentalité des Talibans n’a pas changé et ne changera jamais !

Sonali Kolhatkar : Pourquoi l’armée nationale afghane et le gouvernement afghan soutenu par les États-Unis se sont-ils effondrés si rapidement ?

RAWA : Quelques raisons majeures parmi tant d’autres :

1) Tout s’est déroulé conformément à un accord prévoyant la remise de l’Afghanistan aux Talibans. Le gouvernement américain négociant avec le Pakistan et d’autres acteurs régionaux s’était mis d’accord pour former un gouvernement principalement composé de Talibans. Les soldats n’étaient donc pas prêts à se faire tuer dans une guerre dont ils savaient qu’elle ne profiterait pas au peuple afghan, car finalement, l’accord a été conclu à huis clos pour amener les Talibans au pouvoir. Zalmay Khalilzad [2] est détesté par le peuple afghan en raison de son rôle de traître dans le retour au pouvoir des talibans.

2) La plupart des Afghans comprennent bien que la guerre qui se déroule en Afghanistan n’est pas une guerre menée par les Afghans et pour le bien du pays, mais qu’elle est menée par des puissances étrangères pour leurs propres intérêts stratégiques et que les Afghans ne sont que la chair à canon de la guerre. La majorité des jeunes gens rejoignent les forces armées à cause de la pauvreté et du chômage, et n’ont donc aucun engagement ni aucun moral pour se battre. Il convient de mentionner que les États-Unis et l’Occident ont essayé pendant 20 ans de faire de l’Afghanistan un pays consommateur et ont entravé la croissance de l’industrie. Cette situation a créé une vague de chômage et de pauvreté, ouvrant la voie aux recrutements du gouvernement fantoche, des Talibans et à la croissance de la production d’opium.

3) Les forces afghanes n’étaient pas si faibles qu’elles pouvaient être vaincues en une semaine, mais elles ont reçu l’ordre du palais présidentiel de ne pas combattre les Talibans et de se rendre. La plupart des provinces ont été remises pacifiquement aux Talibans.

4) Le régime fantoche de Hamid Karzai et d’Ashraf Ghani a qualifié les Talibans de "frères mécontents" pendant des années, et a libéré de prison nombre de leurs commandants et chefs les plus impitoyables. Le fait de demander aux soldats afghans de combattre une force qui n’est pas appelée "ennemi" mais "frère" a enhardi les Talibans et sapé le moral des forces armées afghanes.

5) Les forces armées étaient en proie à une corruption sans précédent. Le grand nombre de généraux (pour la plupart d’anciens seigneurs de guerre brutaux de l’Alliance du Nord) siégeant à Kaboul ont accaparé des millions de dollars, ils ont même réduit la nourriture et le salaire des soldats combattant en première ligne. Les "soldats fantômes" sont un phénomène révélé par SIGAR. Les hauts fonctionnaires étaient occupés à remplir leurs propres poches ; ils ont versé sur leurs propres comptes bancaires les salaires et les rations de dizaines de milliers de soldats inexistants.

6) Chaque fois que les forces ont été assiégées par les Talibans dans les durs combats, leur appel à l’aide a été ignoré par Kaboul. Dans de nombreux cas, des dizaines de soldats ont été massacrés par les Talibans lorsqu’ils ont été abandonnés sans munitions ni nourriture pendant des semaines. Le taux de pertes parmi les forces armées était donc très élevé. Lors du Forum économique mondial (Davos 2019), Ashraf Ghani a avoué que depuis 2014, plus de 45 000 membres du personnel de sécurité afghan ont été tués, alors que dans la même période, seuls 72 membres du personnel des États-Unis et de l’OTAN ont été tués.

7) Dans l’ensemble de la société, la corruption croissante, l’injustice, le chômage, l’insécurité, l’incertitude, la fraude, la grande pauvreté, la drogue et la contrebande, etc. ont fourni un terrain propice à la réapparition des Talibans.

Sonali Kolhatkar : Quelle est la meilleure façon pour les Américains d’aider RAWA et le peuple et les femmes afghanes en ce moment ?

RAWA : Nous nous sentons très chanceux et heureux d’avoir le peuple américain épris de liberté à nos côtés pendant toutes ces années. Nous avons besoin que les Américains élèvent la voix et protestent contre la politique belliciste de leur gouvernement et soutiennent le renforcement de la lutte du peuple afghan contre ces barbares.Il est dans la nature humaine de résister et l’histoire en témoigne. Nous avons les exemples glorieux des mouvements de lutte américains "Occupy Wall Street" et "Black Lives Matter". Nous avons vu qu’aucune quantité d’oppression, de tyrannie et de violence ne peut arrêter la résistance.Les femmes ne seront plus enchaînées ! Dès le lendemain matin de l’entrée des Talibans dans la capitale, un groupe de nos jeunes femmes courageuses a peint des graffitis sur les murs de Kaboul avec le slogan : A bas les Talibans ! Nos femmes ont désormais une conscience politique et ne veulent plus vivre sous la Burqa, ce qu’elles faisaient facilement il y a 20 ans. Nous allons poursuivre nos luttes tout en trouvant des moyens intelligents de rester en sécurité.

Nous pensons que l’empire militaire américain inhumain est non seulement l’ennemi du peuple afghan mais aussi la plus grande menace pour la paix et l’instabilité dans le monde. Maintenant que le système est sur le point de décliner, il est du devoir de tous les individus et groupes épris de paix, de progrès, de gauche et de justice d’intensifier leur lutte contre les fauteurs de guerre brutaux de la Maison Blanche, du Pentagone et du Capitole. Remplacer le système pourri par un système juste et humain ne libérera pas seulement des millions d’Américains pauvres et opprimés, mais aura un effet durable dans toutes les régions du monde.Aujourd’hui, nous craignons que le monde oublie l’Afghanistan et les femmes afghanes comme sous le règne sanglant des Talibans à la fin des années 90. Par conséquent, les personnes et les institutions progressistes américaines ne doivent pas oublier les femmes afghanes.Nous allons élever la voix plus fort et continuer notre résistance et notre combat pour la démocratie laïque et les droits des femmes !

(traduction française : OCML Voie Prolétarienne)

[1] NdT : Alliance du Nord : regroupement de forces fondamentalistes islamistes opposées aux Talibans. La figure la plus marquante en est le Commandant Massoud (assassiné le 9 septembre 2001), par ailleurs très lié aux services secrets français. Ils n’avaient absolument rien de féministes et ont en particulier réintroduit la charia à Kaboul.

[2] NdT : Zalman Khalilzad est un diplomate américain d’origine afghane, conservateur, ancien ambassadeur et négociateur face aux Talibans.



Category: Français, French Media