Un reportage sur la prison
Pul-e-Charkhi à Kaboul

Vue de l'intérieur de la prison Pul-e-Charkhi, après l'assaut des troupes fondamentalistes en 1992.


Envoyée de Kaboul par une activiste RAWA - décembre 1999

J'ai fait la connaissance de l'un des anciens employés de la prison qui a souhaité garder l'anonymat. C'est un honnête homme qui hait les talibans et les moudjahidin et travaillait à la prison pour un salaire mensuel de 250 000 Afghanis. Il a été renvoyé car il venait du Badakhshan, une ethnie Tadjik. Un jour, je lui ai demandé de me parler de la situation à la prison. Il m'a donné les informations suivantes, provenant de ses observations personnelles.

La prison Pol-e-Charkhi fonctionne sur une structure du Ministère de l'intérieur et est contrôlée par le quartier de la sécurité de Kaboul. Jusqu'à récemment, la prison était dirigée par Mawlavi Sharafoddin, qui détournait autant de fonds que possible sous couvert de la religion. Après avoir pillé les ressources de la prison au prix de la vie de nombreux prisonniers , il a été remplacé par un autre taliban de Kandahar. Assurer les besoins logistiques et sanitaires de la prison est normalement du ressort du Ministère de l'intérieur. Malheureusement, non seulement le ministère ne pourvoit pas aux besoins des prisonniers, mais il refuse de le faire, en accord avec la politique générale des talibans.

En plus des 18 blocs déjà pleins de la prison, les talibans ont ouvert deux nouveaux blocs qui regroupaient auparavant les prisonnières. Chaque bloc dispose de 116 cellules, dans lesquelles 40 à 50 prisonniers sont entassés comme des bêtes. Pour contrôler la prison et en maintenir la "sécurité", 150 talibans battent, flagellent, torturent, humilient et sodomisent continuellement les prisonniers. Le premier bloc contient plus de 2000 prisonniers, dont la grande majorité sont de petits commerçants. Les autres étant des pauvres de la classe ouvrière. La police religieuse des talibans les arrête pour la soit-disant violation des préceptes religieux, mais ces gens n'ont commis d'autre crime que celui d'être nés Tadjiks. Plusieurs mois après leur arrestation, il peut arriver qu'on étudie leur cas. La plupart sont convaincus de complots politiques, montés de toutes pièces, et sont condamnés à des peines sans fin. De nombreux prisonniers ont été arrêtés dans la rue, durant le premier assaut des talibans dans les régions du nord. et ont été transférés à la prison Pol-e-Charkhi. Après presque trois ans, ils sont toujours incertains de leur destin, nombre d'entre eux sont tombés physiquement et mentalement malades. Certains sont au bord de la folie. La ration quotidienne est constituée de 180 grammes de pain sec et de 450 g de riz bouilli pour 6 prisonniers. Au moins trois prisonniers par semaine meurent de faim. Le personnel pénitentiaire transfèrent les corps à l'hôpital puis prononce la mort suite à une maladie quelconque.

La situation nutritionnelle et sanitaire de la prison, le rôle de la Croix rouge et de ses employés

Étant donné que l'administration talibane ne porte aucune attention au malheur des prisonniers, la Croix rouge envoie régulièrement de l'aide à la prison Pol-e-Charkhi. Cette aide inclut du riz, des haricots, de l'huile, du sucre, du thé, de la viande, des légumes, des fruits, du savon, des tapis, des vestes, des lunettes, du gasoil, etc. Résultat : le directeur de la prison possède des voitures, des appartements, une maison et de grosses sommes d'argent. Un peu de riz est tout ce qui arrive aux prisonniers de l'aide de la Croix rouge. Tous les jours, on distribue 450 g de riz bouilli pour 6 prisonniers. Chaque prisonnier reçoit un seau en guise de toilettes. La Croix rouge a mis en place une infirmerie avec quelques docteurs, mais tous les médicaments sont dérobés et répartis entre les employés de la Croix rouge et l'administration de la prison. Ils enregistrent le nom de quelques prisonniers pour falsifier des papiers attestant de soins fictifs. La plupart des prisonniers souffrent de pathologies diverses comme des problèmes digestifs, le choléra, etc. Les prisonniers n'ont le droit d'utiliser que deux fois par jour, de 8 h à 10 h et de 16 h à 18 h, les salles de repos mises en place par la Croix rouge. Toues les salles de repos ont été pillées par les talibans. Les prisonniers qui désirent prier n'ont pas accès à l'eau pour les ablutions. La Croix rouge donne un seau à chaque prisonnier pour qu'il stocke de l'eau, mais ses seaux servent de toilettes. Ils ne peuvent être vidés qu'aux heures d'ouverture des salles de repos. Le manque d'accès aux salles de bain et laveries ont rendu les lieux dangereux.

Torture et sodomie à la prison

La prison compte 150 gardiens placés à différents postes. Ils torturent les prisonniers juste pour s'amuser. Ils les arrêtent sans motif, les insultent et les menacent, puis conduisent leur inquisition religieuse. Les talibans, chargés de torturer les prisonniers, les agressent et les flagellent en les battant jusqu'à ce qu'ils perdent connaissance. Pour se justifier, ils posent parfois des questions à caractère religieux pendant la torture. Des jeunes gens sont sodomisés tous les jours. Les gardiens entrent dans les cellules sous un quelconque prétexte et emmènent les jeunes, soit-disant pour nettoyer les salles de repos ou pour balayer ou faire des courses. Ils les emmènent alors dans leurs chambres et leurs tentes pour les violer. Les jeunes gens ne parlent jamais de ces actes odieux par peur de la honte et pour ne pas être stigmatisés. Il faut préciser que la sodomie est un acte courant dans tous les postes talibans des villes.

Le magasin de la prison et les vols des talibans

La situation alimentaire étant catastrophique dans la prison, les prisonniers qui peuvent se le permettre s'achètent de la nourriture au magasin de la prison pour survivre un moment. Durant les premiers jours, si les prisonniers ont la possibilité d'envoyer une lettre à leur famille, cela peut leur sauver la vie, sinon, ils doivent s'attendre à mourir à petit feu. L'ami qui me racontait tout cela, précisait que ses amis et lui ont envoyé 700 lettres en quelques semaines aux familles des prisonniers. Le magasin de la prison est également dirigé selon les préceptes "religieux" des talibans. Il est contrôlé par le directeur de la prison qui met les prix qui l'arrangent. Par exemple, une boîte d'allumettes qui coûte 500 Afghanis est vendue 1500 Afghanis, un gâteau qui coûte 8000 Afghanis est vendu 35 000 Afghanis, et un kilo de sucre qui devrait coûter 18 000 Afghanis est vendu 40 000 Afghanis. Ces extorsions, qui restent impunies, permettent au directeur de la prison d'amasser des centaines de millions d'Afghanis en quelques mois.

La prison Pol-e-Charkhi, et d'autres prisons, sont de bons moyens pour les talibans incultes de faire fortune. Que la religion l'autorise ou pas ne joue aucun rôle, il suffit qu'un des leaders décrètent une fatwa. Le personnel saoudien et pakistanais joue un rôle décisif dans les pratiques de tortures et d'interrogatoires à la prison. Certains Pakistanais pénètrent dans les cellules la nuit et se mettent à battre les prisonniers sans motif. Ceci est un véritable jeu pour les talibans pakistanais.

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