NBC NEWS, 5 OCT. 2001

Des femmes afghanes défient les talibans

Des réfugiés racontent des histoires de résistance, y compris des écoles secrètes pour filles

par Yuka Tachibana

Ron Allen, de la NBC, montre la vie des femmes en Afghanistan -- prises en otages, en fait, par les talibans.

PESHAWAR, Pakistan, 5 Oct. - Fatima est une réfugiée afghane qui vit dans un camp en bordure de la cité, au nord du Pakistan. Elle enseigne l'anglais à une classe d'une douzaine d'étudiantes afghanes adolescentes. Dans la plupart des pays, il n'y aurait rien d'extraordinaire à voir une classe pleine de filles avec une enseignante, mais pour ces femmes, c'est une victoire chèrement gagnée. De retour en Afghanistan, une scène comme celle-ci pourrait valoir la mort à toutes les personnes impliquées.

En Afghanistan, sous le régime dur des talibans et son interprétation extrémiste de la loi islamique, les femmes ne sont pas autorisées à aller à l'école, ni à travailler, ni même à quitter leur domicile sans un proche parent mâle pour les accompagner. Et quand elles sortent, les femmes doivent se couvrir entièrement dans un burqa - un lourd voile qui couvre chaque centimètre carré de leur corps. Même leurs visages sont voilés, à l'exception de leurs yeux qui sont cependant recouvert d'une étoffe grillagée à maille grossière.

Violer les règles des talibans peut vous valoir n'importe quel châtiment, depuis le fouet jusqu'à la lapidation à mort. Beaucoup de femmes ont fini par mendier un peu d'argent dans la rue. Quelques-unes ont même recouru à la prostitution pour pouvoir acheter un morceau de pain, disent les militants pour les droits des femmes.

Un rapport publié en 1999 par les Médecins pour les Droits de l'Homme révèle quelques statistiques choquantes: 97% des femmes afghanes sont en un état grave de dépression, 42% d'entre elles souffrent de troubles psychologiques post-traumatiques, et 21% ont eu des pensées suicidaires assez ou très souvent.

BASTONNÉE

"Un jour, j'allais au marché avec une amie", dit Fatima. "Nos burqas révélaient de nos visages plus que ce la police des talibans trouvait acceptable. Alors il nous ont battues avec des gourdins -nous avions seulement relevé nos burqas parce que la chaleur était écrasante".

Fatima est de Kaboul, la capitale de l'Afghanistan. Elle enseignait l'anglais jusqu'à la prise du pouvoir par les talibans il y a cinq ans.

"J'ai quitté l'Afghanistan parce que je n'étais plus autorisée à enseigner. Tout ce que je pouvais faire était de rester assise à la maison, sans rien faire d'autre. Mais j'avais désespérément envie d'enseigner. C'est pourquoi je suis venue au Pakistan."

Si les talibans avaient surpris Fatima en train d'enseigner, elle aurait été lapidée jusqu'à la mort.

Un mouvement secret pour les droits des femmes afghanes a pourtant commencé à défier la poigne de fer des talibans.

RAWA, ou Association Révolutionnaire des Femmes Afghanes (Revolutionary Association of the Women of Afghanistan) fait vivre un réseau clandestin d'écoles à la maison, où des enseignantes risquent leur vie en donnant de l'instruction à des jeunes filles.

Le groupe fait également vivre secrètement des projets apportant un revenu, pour permettre à des mères et des veuves de faire de l'artisanat vendu sur les marchés.

Sahar Saba, membre de RAWA, dit qu'"être une femme en Afghanistan signifie savoir comment résister, et comment combattre les privations qui leur sont imposées. Je pense que RAWA et les femmes qui pensent comme nous sont les plus grands exemples, et elles n'abandonneront pas si facilement".

Elle décrit le régime des talibans comme "une poignée de gens brutaux, misogynes, non civilisés, sans éducation qui mettent le pays en coupe réglée".

LE TRAVAIL DANS LES CAMPS

Elle ajoute qu'avec la menace continue d'une attaque militaire de l'Afghanistan par les troupes américaines, le travail de RAWA à l'intérieur du pays devient de plus en plus difficile car des dizaines de milliers de gens fuient les villes vers les zones rurales, ou traversent la frontière avec le Pakistan. Mais le travail de RAWA ne s'arrête pas à la frontière de l'Afghanistan.

Dans des camps de réfugiés situés au Pakistan, l'organisation gère des écoles et des projets créateurs de revenus pour les femmes qui ont réussi à échapper à l'oppression des talibans.

L'école où enseigne Fatima est gérée par RAWA. "Ici, au Pakistan, nous sommes loin des talibans, donc nous ne vivons plus dans la peur. En Afghanistan, ils peuvent imposer leurs règles, mais ici nous sommes libres. Ils ne peuvent rien nous faire ici. C'est pourquoi je me sens en sécurité."

Bien que Fatima soit maintenant elle-même hors de portée des talibans, elle ne donnerait pas son nom véritable de peur que les talibans ne la reconnaissent et ne s'en prennent à sa famille qu'elle a laissée en Afghanistan.

HISTOIRES HORRIBLES

Elle a vécu dans ce camp de réfugiés depuis trois ans. Il y a des centaines de milliers de femmes afghanes vivant dans des camps en bordure de Peshawar, à 80 km (50 miles) de la frontière avec l'Afghanistan, et ce n'est pas difficile de trouver des histoires horribles sur la vie sous la coupe des talibans.

Zeiba est arrivée au Pakistan en juillet après avoir fui son village, au nord de l'Afghanistan. Cette jeune femme de 21 ans dit qu'elle a perdu son mari à cause des talibans. Zeiba et son mari étaient mariés depuis seulement un mois quand il a disparu.

"Une nuit, les talibans sont venus dans notre village. Ils ont rassemblé tous les hommes, les ont attachés et leur ont même bandé les yeux. Nous pleurions et les priions de laisser partir nos hommes. Mais au lieu de cela, ils nous ont battus tous, femmes, enfants et hommes, avec leurs crosses de fusils. Les hommes furent emmenés et exécutés."

Le seul crime de son mari, dit-elle, était d'être musulman chiite. Les talibans sont de l'obédience majoritaire sunnite et les organisations de défense des droits de l'homme ont fréquemment critiqué la milice pour leur façon de traiter les chiites.

"Les talibans ont détruit ma vie - pas juste la mienne mais la vie de toutes les femmes d'Afghanistan", constate Zeiba, toute tremblante en séchant les larmes de ses yeux.

Elle vit en ce moment dans un orphelinat tenu par RAWA dans le même camp de réfugiés où Fatima vit et enseigne.

Elle passe ses journées à apprendre à lire et écrire dans l'école de Fatima.

"Je ne suis pas instruite, mais je veux apprendre. Je veux être enseignante de façon à pouvoir aider mon peuple, une fois de retour en Afghanistan."

MANIFESTATIONS DE DÉFI

Belqis, 33 ans, a fui l'Afghanistan avec sa famille en août. Quand elle vivait à Kaboul, elle n'a réussi à étudier que pendant cinq mois. Maintenant, dans la capitale du Pakistan, Islamabad, elle va à l'école de RAWA et étudie avec des enfants qui ont la moitié de son âge. "Je veux être médecin, parce que beaucoup de gens souffrent dans mon pays et que je veux les aider."

Belqis est parvenue en tête de la classe.

En dehors des voix d'enfants dans les salles de classe, il règne un étrange silence dans le bureau principal de l'école, où une étagère porte les dessins faits par les étudiants. Ils montrent des femmes en train d'être battues ou arrêtées par les talibans. Ces objets sont un rappel fort de ce qui continue de hanter les femme d'Afghanistan.

Retour dans le camp de réfugiés de Peshawar. Zeiba la veuve est en attitude de défi. "Nous voulons la fin des talibans", dit-elle. "J'ai de la chance: je suis ici maintenant, et plus sous le contrôle des talibans, mais mon pays n'est pas libre. Les femmes d'Afghanistan ne sont pas libres. Nous espérons que le jour viendra où on ne verra plus rien des talibans, pour que nous ne vivions plus dans la peur."

Yuka Tachibana, producteur à la NBC, est chargé du Pakistan.



Traduit de: http://www.msnbc.com/news/638488.asp



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